18 juin 2011 |Réginald Harvey
Mohammed Ameur, ministre délégué auprès du premier ministre marocain, Abbas el-Fassi, est en charge de la communauté marocaine résidant à l’étranger. Sous forme de questions et de réponses, il fait le point sur l’évolution de la diaspora marocaine et sur les mesures prises pour lui apporter de l’aide.
Quelle est l’évolution de la diaspora marocaine ?
La communauté marocaine résidant à l’étranger (CMRE) a énormément évolué au cours des dix ou quinze dernières années. En nombre, elle a plus que doublé, atteignant actuellement près de cinq millions de personnes.
Cette évolution, nous pouvons aussi la constater dans les profils de la nouvelle génération, extrêmement variés et nettement mieux formés que ceux des générations précédentes, constituées majoritairement de manoeuvres. Elle est également visible en matière de projets de vie, désormais essentiellement conçus et menés définitivement dans les pays d’accueil. Ce cas de figure n’était guère envisageable pour les migrants des années 60 et 70, pour qui l’expatriation n’allait pas au-delà de la retraite.
Autre changement : cette migration se féminise, et pas seulement par le biais du regroupement familial. Il s’agit de migrations de femmes actives, aussi bien en Europe que dans les pays arabes. Il y a aussi, comme phénomène nouveau, la mondialisation de la migration. Les Marocains sont partout à travers le monde. En Chine, en Afrique du Sud, en Australie, au Japon, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud…
Ce qui est nouveau, c’est qu’au Maroc même, l’émigration touche aujourd’hui toutes les régions. Nous ne sommes plus, comme auparavant, face à une émigration territorialisée, comme c’était le cas de la région du Souss dans les années 60. Aujourd’hui, toutes les villes du Maroc, toutes les régions connaissent plus ou moins cette mobilité.
Quels sont les enjeux de la pérennisation des liens avec la CMRE?
La CMRE joue plusieurs rôles très importants pour le Maroc, dont la défense de ses causes et intérêts à l’étranger, la contribution à son rayonnement, la participation à la création de la richesse nationale, au développement territorial, au maintien de la cohésion sociale, à la lutte solidaire contre la précarité et la pauvreté, etc.
Mais c’est une communauté de plus en plus fragilisée par les crises économiques et sociales que traversent les pays d’accueil, et certains de ses membres atteignent un niveau de vulnérabilité tel qu’il nécessite que l’État intervienne pour les soutenir et leur assurer des conditions de vie humainement dignes.
Et c’est surtout une communauté que guette la menace sournoise du délitement de ses liens avec la patrie d’origine. Cette tendance commence à gagner les générations nées à l’étranger, perceptible à travers un certain nombre d’indices, comme le recours massif à la naturalisation, l’abandon total ou partiel de la langue du pays, l’espacement des visites et des contacts familiaux au Maroc, etc.
Les risques que la rupture de ces liens fait courir au Maroc sont pris au sérieux. Ils appellent de la part de l’État une intervention intelligente, rapide et efficace, opposant au facteur du temps, qui joue en défaveur de la pérennité des relations avec les nouvelles générations, des mesures concrètes et immédiates. La réponse qui paraît la plus appropriée est d’ordre culturel.
Pourquoi l’action culturelle comme option stratégique?
La priorité donnée à l’axe culturel tend à souligner la question de l’identité marocaine dans ses dimensions linguistique, cultuelle et culturelle chez les expatriés, et plus particulièrement la nouvelle génération. Des actions sont amorcées, ayant pour fondement l’idée que la culture constitue un élément stabilisateur de cette génération.
En fait, ces actions visent deux objectifs, en apparence contradictoires mais complémentaires. Le premier est de faire prendre conscience à cette génération d’appartenir à un pays ayant une histoire, une culture et une civilisation reconnues parmi les plus prestigieuses, ce qui est de nature à l’aider à s’intégrer dans les sociétés d’accueil sans complexe d’infériorité.
Le second est de lui faire découvrir et apprécier à leur juste valeur les multiples facettes de sa culture d’origine, lui présenter les potentialités du Maroc nouveau, instaurer un dialogue et un échange mutuel entre lui et les jeunes du pays… Le but final étant de maintenir éveillées, chez le jeune expatrié, l’envie de mieux connaître ce pays, qui lui est proche et lointain à la fois, et la volonté de perpétuer avec lui une filiation qui tend à s’estomper.
Ces actions intéressent, essentiellement, la création de centres culturels marocains à l’étranger, l’organisation d’universités des jeunes MRE (Marocains résidant à l’étranger) durant chaque été, l’organisation de voyages au Maroc au profit de jeunes expatriés et de leurs camarades de classe et de voisinage, la mise en place de partenariats culturels avec les municipalités et les conseils régionaux des pays de résidence, le parrainage de manifestations culturelles au Maroc et à l’étranger, la subvention de l’action socio-éducative d’associations de MRE, etc.
Pourquoi des centres culturels?
L’idée de créer ces établissements n’est pas toute neuve et remonte à plusieurs années, donnant lieu à des expériences qui n’ont pas eu le succès escompté. Après les multiples contacts avec la communauté marocaine à travers le monde, nous avons constaté qu’il était urgent d’agir pour répondre aux besoins culturels de cette communauté, dont il fallait maintenir et consolider les liens d’attachement au Maroc, notamment chez la deuxième, la troisième et bientôt la quatrième générations.
Les centres culturels, qui ont pour objectifs essentiels de contrecarrer la dilution des liens de la communauté marocaine avec la mère patrie à moyen terme et de prévenir les risques de rupture consécutifs à l’éloignement du pays, devront faire connaître et apprécier la culture et la civilisation marocaines dans le pays d’accueil, permettre aux enfants de cette communauté d’apprendre la langue de leurs ancêtres, confirmer l’esprit et les principes d’ouverture et de tolérance qui sont les leurs face aux menaces d’exclusion et de ghettoïsation qui les guettent, etc.
Au-delà des Marocains expatriés, les centres culturels s’adresseront également aux citoyens des pays d’accueil et aux autres communautés y résidant, contribuant ainsi à une plus grande compréhension mutuelle entre les civilisations, à un échange et à un enrichissement interculturels plus soutenus et, en corollaire, à un plus grand rayonnement culturel de notre pays à travers le monde. Un centre est déjà opérationnel, celui de Bruxelles, qui a entamé ses premières activités en avril 2009. Un autre, à Tripoli, est prêt mais non encore opérationnel en raison des événements que connaît la Libye. Celui de Montréal sera achevé dans les prochaines semaines.